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En Russie, Vladimir Poutine stigmatise les «élites occidentales»


RÉCIT – Le chef du Kremlin a dit que ses forces nucléaires restaient «en alerte» après l’évocation d’une participation directe des alliés de l’Ukraine.

Correspondant à Moscou

Du jamais vu, ou à peu près: ce 9 mai, où l’on célèbre en Russie le «jour de la victoire», Moscou était recouverte d’une mince couche de neige. Dans son discours, avant la traditionnelle parade militaire sur la place Rouge, Vladimir Poutine n’a guère surpris. Le président russe a réitéré en effet la menace nucléaire, déjà évoquée en début de semaine par le Kremlin – après l’avoir fait à plusieurs reprises depuis l’invasion de l’Ukraine en février 2022. «La Russie fera tout pour éviter un affrontement mondial. Mais, dans le même temps, nous ne permettrons à personne de nous menacer. Nos forces stratégiques sont toujours en alerte», a déclaré le président, faisant référence à l’arsenal nucléaire russe. Lundi dernier, Moscou avait annoncé la tenue d’exercices nucléaires tactiques, impliquant des troupes stationnées près de l’Ukraine, en réponse à des «menaces» occidentales d’intervenir directement dans le conflit – la France était particulièrement visée après les déclarations d’Emmanuel Macron mentionnant l’envoi éventuel de troupes au sol.

«La Russie traverse actuellement une période difficile, une période charnière. Le sort de la patrie et son avenir dépendent de chacun d’entre nous», a souligné Vladimir Poutine, sans détailler la situation militaire sur le terrain où l’armée russe a réalisé quelques avancées ces derniers mois. Il a en revanche salué «ceux qui se trouvent sur la ligne de front (et qui) sont nos héros», à l’égal, selon lui, de «nos pères, nos grands-pères et nos arrière-grands-pères (…) qui ont défendu leur terre natale et écrasé le nazisme». À ses côtés, tassés sur leurs chaises et couverts de décorations, était assis le dernier carré chenu des vétérans de la Grande Guerre patriotique. Parmi eux, le colonel Evgueni Kouropatov et la tireuse d’élite Alexandra Alyoshina, tous deux centenaires. Lui avait participé au premier «défilé de la victoire», sur cette même place Rouge, en 1945… Partout en Russie, des affiches montrent les combattants de cette génération quasiment disparue, veillant derrière l’épaule des leurs cadets engagés en Ukraine contre un pouvoir de Kiev, lui aussi qualifié de «nazi».

Sur les neuf mille militaires présents au défilé, un millier était des participants de l’«opération militaire spéciale» en Ukraine, beaucoup d’autres, souvent des blessés, étaient dans les tribunes. «Toute la Russie est avec vous», leur a affirmé le dirigeant russe.

Un défilé relativement modeste

Vladimir Poutine, qui convoque souvent, – comme pour conforter sa légitimité -, la mémoire de la Seconde Guerre mondiale a déploré jeudi que la «vérité» sur celle-ci est «déformée». Une complainte en contrepied face aux Occidentaux, tandis que lui-même développe incessamment sa propre vision de l’histoire. «Ils démolissent les mémoriaux des vrais combattants contre le nazisme, mettent sur des piédestaux les traîtres et les collaborateurs des nazis», a-t-il dénoncé, faisant allusion à la destruction de monuments de l’époque soviétique dans les pays de l’ex-URSS, limitée mais bien réelle, et à la persistance, pour le coup marginale, dans l’espace mémoriel ukrainien de figures «nationalistes», tel Stepan Bandera. Pour sa part, le ministère russe de la Défense, selon des chiffres fournis en décembre dernier, plus de trois mille monuments «à la gloire des soldats libérateurs soviétiques ont déjà été détruits dans les pays de l’Union européenne». Selon le président russe, «le revanchisme, la dérision de l’histoire et le désir de justifier les partisans actuels des nazis font partie de la politique générale des élites occidentales visant à attiser de plus en plus les conflits régionaux, l’hostilité interethnique et interreligieuse».

Ce défilé du 9 mai, le troisième depuis le début de la guerre en Ukraine, s’est avéré relativement modeste. Seule une poignée de dirigeants avaient fait le déplacement, parmi lesquels les voisins d’Asie centrale, l’incontournable président biélorusse Alexandre Loukachenko et ses homologues du Laos, de Cuba et de Guinée-Bissau.

80e anniversaire du débarquement de Normandie

Mis en scène comme un grand spectacle, ce moment clé du récit «patriotique» orchestré par Vladimir Poutine portait par défaut la marque des forces colossales puisées dans le capital humain et économique du pays – quoiqu’il puisse en paraître aux yeux de la population. Le défilé aérien, s’il a bien eu lieu malgré le ciel plombé, n’a impliqué que quinze avions (contre plus de cinquante en 2021). Les participants aux opérations en Ukraine étaient deux fois plus nombreux que l’an dernier mais plusieurs unités prestigieuses (comme la 4e division de chars de la garde Kantemirov) n’étaient pas représentées et de nombreux matériels utilisés actuellement sur le front n’ont pas défilé.

«La guerre en Ukraine continue d’absorber toutes les ressources de l’armée», souligne la chaîne Telegram Agentstvo. Incontournables, a fortioridans le contexte actuel, les missiles Iskander-M et S-400 Triomph ainsi que les impressionnants missiles balistiques intercontinentaux Yars, ont été présentés sur la place Rouge. Seule nouvelle capacité à avoir défilé cette année, le véhicule sanitaire Linsa, entré en service en 2020.

Histoire partagée

Convoquant à nouveau sa vision de l’histoire, Vladimir Poutine, qui élude systématiquement la séquence du pacte germano-soviétique, a affirmé que «durant les trois premières longues années de la Grande Guerre patriotique, l’URSS et toutes les républiques de l’ex-URSS ont combattu les nazis pratiquement seuls tandis que la quasi-totalité de l’Europe travaillait pour la puissance militaire de la Wehrmacht». Toutefois, le dirigeant russe a poursuivi en prenant le soin de faire valoir que «la Russie n’a jamais minimisé l’importance du second front et de l’assistance des Alliés».

Faut-il y voir une allusion, entre autres, au débarquement de Normandie, dont le 80e anniversaire sera célébré le 6 juin prochain? Vladimir Poutine n’y est pas convié «en raison de la guerre d’agression en Ukraine», a indiqué le mois dernier la Mission Libération, chargée en France d’organiser l’événement. Toutefois, précisait cet organisme, «la Russie sera invitée à être représentée pour que l’importance de l’engagement et des sacrifices des peuples soviétiques, (27 millions de morts côté soviétique, NDLR) ainsi que sa contribution à la victoire de 1945, soient honorés».

Pour les historiens de la période, au premier rang desquels le Français Olivier Wieviorka, «il est indéniable que la guerre contre l’Allemagne nazie a été gagnée à l’Est». De son côté, Vladimir Poutine a concédé un «hommage à la bravoure de tous les soldats de la coalition anti-hitlérienne, des résistants, des combattants clandestins, des partisans…» Un faible écho de concorde, brièvement ouvert le terrain miné de l’histoire partagée.


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