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Gaza, Ukraine, élections européennes… Quand la politique s’invite sous les projecteurs de l’Eurovision


DÉCRYPTAGE – De nombreux candidats ont glissé des références à des grands titres de l’actualité politique voire géopolitique dans leurs morceaux ou leurs prestations sur la scène du télé-crochet.

La direction de l’Eurovision tente, en vain, de rappeler que l’événement culturel est «apolitique» et demande aux artistes – et au public – de ne pas brandir de symboles en lien avec des conflits. Mais la réalité est tout autre. Entre le conflit israélo-palestinien, la guerre en Ukraine et les élections européennes, les revendications des artistes en compétition font florès. En 2022 déjà, le groupe ukrainien Kalush Orchestra avait remporté le concours avec un titre en référence à l’invasion russe. Les candidats de cette session 2024 semblent assurer la continuité, avec en prime plusieurs polémiques, principalement en lien avec la guerre à Gaza.

La chanteuse israélienne de 20 ans, Eden Golan, a fait objet de critiques après s’être qualifiée en finale jeudi soir. De nombreux appels d’artistes et d’associations scandinaves avaient appelé à exclure Israël du concours, au même titre que la Russie qui avait été bannie de la compétition en 2022 après l’invasion de l’Ukraine. Près de 12.000 personnes ont manifesté, en compagnie de Greta Thunberg, dans les rues de Malmö, en Suède, où se déroule l’événement musical. Un nouveau rassemblement est déjà prévu samedi.

«October rain»

Face à la crainte d’un attentat, la sécurité avait lourdement été renforcée. Car l’inquiétude grandit en Suède après les autodafés de Corans qui s’étaient déroulés en 2023, faisant du pays une cible des islamistes. Les habitants de Malmö sont par ailleurs très mobilisés pour la cause palestinienne. Chaque week-end depuis l’attaque du Hamas, des drapeaux palestiniens flottent aux fenêtres et dans les rues de cette ville classée politiquement à gauche.

Mais la candidate de l’État hébreu a d’abord fait parler d’elle en raison des paroles de sa chanson. Si Eden Golan s’est qualifiée avec son titre Hurricane, son morceau initial était intitulé October rain, une référence sans équivoque à l’attaque meurtrière du Hamas le 7 octobre. La société israélienne de radiodiffusion (KAN) chargée de l’Eurovision en Israël avait exigé des modifications du texte. L’Union européenne de radio-télévision (UER), qui organise le concours de l’Eurovision, interdit en effet les paroles pouvant être assimilées à des positions politiques.

Des Irlandais contre la participation d’Israël

Mais Eden Golan n’est pas la seule candidate à avoir été rappelée à l’ordre. Le chanteur suédois, Eric Saade, d’origine palestinienne avait été réprimandé après s’être enroulé le poignet d’un keffieh lors du concert d’ouverture. De même que la chanteuse irlandaise, Bambie Thug, ouvertement propalestinienne, qui avait dû retirer les inscriptions de soutien à Gaza, «cessez-le-feu» et «liberté pour la Palestine», sur son costume. La candidate se décrit comme une «pop star queer de ouija» – une planche censée permettre la communication avec les esprits – et est surnommée «la sorcière» par les médias irlandais.

Bambie Thug a d’ailleurs été incitée par plus de 400 artistes irlandais à se retirer de la compétition, en signe de contestation à la participation d’Israël. Ces artistes déclarent dans leur lettre, qu’«en participant à l’Eurovision, Bambie Thug se tient aux côtés de l’oppresseur». Ils ajoutent également que les Palestiniens ont demandé aux artistes de boycotter ce concours. Bambie Thug devrait donc choisir d’être «du bon côté de l’histoire», poursuivent-ils. Selon eux, cette compétition serait un moyen de «blanchir» les crimes «génocidaires» contre les Palestiniens. À cette lettre s’ajoute une autre signée par plus de 16.000 téléspectateurs irlandais. Et ils vont plus loin. Ils demandent au directeur général de la RTE, la plus grosse chaîne irlandaise, de retirer le pays de l’Eurovision.

Mais les organisateurs de l’événement ont écarté l’idée de l’exclusion d’Israël à la mi-février : «Le Concours Eurovision de la chanson est un événement musical apolitique et une compétition entre les radiodiffuseurs de service public membres de l’UER. Il ne s’agit pas d’un concours entre gouvernements.» Concernant les comparaisons avec l’exclusion de la Russie, «[elles] sont complexes et difficiles et il ne nous appartient pas de les établire», avait poursuivi Noel Curran, le directeur général de l’UER.

Hymne à l’Europe

Après les guerres, la politique européenne se retrouve aussi sous les projecteurs de l’Eurovision. Le candidat néerlandais, Joost Klein, aujourd’hui suspendu de la compétition pour une raison inconnue, chante les couleurs du drapeau européen. «Europe, unissons-nous ! C’est maintenant ou jamais ! Je vous aime tous !», crie-t-il au début de sa chanson Europapa, à un mois des élections européennes. Des paroles qui ressemblent à la devise européenne «Unis dans la diversité». Dans son clip, le chanteur à la frange peroxydée apparaît tel un homme politique en blazer bleu aux épaulettes démesurées, face à des micros et devant des drapeaux européens.

Une allusion qui rappelle qu’à l’automne dernier, le parti nationaliste de Geert Wilders, contre l’immigration et eurosceptique, est arrivé en tête des élections législatives aux Pays-Bas avec un score historique de 23% des suffrages. Dans son morceau, Joost Klein vante, à l’opposé, l’abolition des frontières de l’espace Shengen : «Je veux quitter les Pays-Bas mais j’ai perdu mon passeport. Heureusement, je n’ai pas besoin d’un visa pour être près de toi.» «La musique est un iceberg dont les gens ne voient que le sommet. Je ne leur en veux pas mais je les invite à regarder en dessous de la surface», explique le chanteur à 20 minutes.

La politisation de l’Eurovision n’est pas nouvelle, explique Oranie Abbes, enseignante-chercheuse à l’Université de Lorraine et spécialiste de l’Eurovision, sur France Musique. «Bien qu’il soit officiellement apolitique, le concours Eurovision a toujours été politisé. Par exemple, en 1990, cinq chansons étaient consacrées à la chute du mur de Berlin, survenue un peu moins d’un an plus tôt», développe-t-elle avant d’ajouter : «En 1980, le Maroc faisait référence au choc pétrolier de 1979. Plus récemment, le conflit russo-ukrainien est revenu à de nombreuses reprises dans les prestations de l’Ukraine.»


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