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le rappeur Toomaj Salehi, la liberté ou la vie


PORTRAIT – Des voix s’élèvent en France et dans le monde pour soutenir l’artiste iranien de 33 ans, condamné à la peine de mort le 24 avril après être devenu l’un des porte-voix du mouvement de contestation «Femme, vie, liberté».

«Qui est le fauteur de douleur et de sang ? / Votre drapeau est partout où vous laissez aller l’argent / (…) Vous êtes tous corrompus». Les vers du rappeur Toomaj Salehi fusent comme autant de flèches décochées contre le régime iranien. Le 24 avril, ces mots, tirés de son plus célèbre titre Soorakh Moosh, mais aussi tous ses autres pamphlets en rap adressés aux autorités de la République islamique, ont valu à l’artiste la peine capitale. Une peine à la hauteur de ce que représente cet Iranien de 33 ans, devenu porte-voix du mouvement «Femme, vie, liberté».

Depuis la vague de soulèvement déclenchée après la mort de Mahsa Amini – cette Kurde morte aux mains de la police des mœurs parce qu’elle portait mal le voile islamique – des dizaines de milliers de personnes ont été arrêtées pour leur opposition au régime, dont neuf ont été condamnées à mort selon les ONG. Toomaj Salehi, 33 ans, sera-t-il le dixième ? L’Autorité judiciaire d’Ispahan, l’a jugé coupable de «corruption sur terre», le chef d’accusation le plus grave, ainsi que de propagation de «mensonges sur internet», de «propagande contre le système» et d’incitation «à commettre des actes violents». Son sort n’est toutefois pas tout à fait scellé. Puisqu’il aurait exprimé des remords, sa peine pourrait être commuée en prison à perpétuité. L’un de ses avocats, Amir Raisian, a fait part de sa volonté de faire appel.

La contestation dans le sang

Ce jugement est l’aboutissement d’un acharnement judiciaire. Toomaj, issu de la tribu des Bakhtiari, dans l’ouest du pays, a baigné dès son plus jeune âge dans un esprit de contestation. Son père, pour s’être opposé au régime, a fait 8 ans de prison. Sa mère est morte d’un cancer quand il avait 12 ans. Dans la région d’Ispahan, où les habitants ont particulièrement souffert de la guerre contre l’Irak voisin, l’appauvrissement de sa famille s’accompagne d’une chute sociale. Adolescent, Toomaj fait des études d’ingénieur mécanique et rejoint l’atelier de son père dans la banlieue d’Ispahan, où il forge des pièces métalliques.

En parallèle, le jeune lettré commence à écrire des vers, de poésie ou de rap. À 26 ans, il se lance pour de bon dans une carrière de rappeur. Au pays des mollahs où la musique contemporaine est considérée comme «satanique» et les arrestations de chanteurs courantes, rapper est un acte de rébellion. Toomaj double ce défi de textes au franc-parler inédit. En persan, il chronique la répression politique, la pression religieuse, la corruption des autorités, avec des termes directs, parfois vulgaires. «Tu as l’habitude de te recroqueviller, clame-t-il en référence à l’Islam rigoriste imposé par les mollahs, prosterne-toi jusqu’à ce que ton estomac se remplisse de gaz.» Sur les plateformes de YouTube, Spotifiy et SoundCloud, la jeunesse contourne la censure par VPN pour l’écouter.

En 2021, une chanson consacre sa notoriété. Dans Soorakh Moosh, littéralement «trou de souris», Toomaj interpelle le «chef de la République islamique» et crache sa colère face aux répressions des manifestations (celles contre l’augmentation du prix du carburant, en 2019 et 2020). Elles auraient fait 1500 morts selon une enquête de l’agence Reuters. «Ton horizon est plein de sang et de colères / Cadavres de vieux, de jeunes et d’enfants / Tout ton passé est sombre / Le gouvernement a enlevé la lumière des yeux». Pour le rappeur, ceux qui ne s’indignent pas sont complices. «Il n’y a pas de vote blanc. Il n’y a pas de neutralité dans le combat», chante-t-il. «Si tu t’occupes de tes affaires, pendant qu’ils prennent la vie des jeunes […], t’es un traître».

Trou de souris

À l’heure où les rappeurs mobilisés vivent en exil, Toomaj Salehi, «le rappeur le plus courageux du monde», comme l’appelle le Times, est seul à rester. «Beaucoup l’adorent parce qu’il est la voix des gens de la rue. Il leur a promis qu’il tiendrait pour eux», témoigne auprès de France 24 Justina, amie du rappeur avec qui elle a interprété le titre «Pichak» en juillet 2022, et qui vit elle-même en Suède. «Toomaj dit qu’il veut donner du courage à travers ses chansons. Et il est à la hauteur de sa promesse», confirme auprès du Figaro Omid, un Iranien de 33 ans. «Un jeune homme supportant les femmes, c’est fou en Iran», ajoute à son tour Nadereh*, 21 ans, habitante de la province de Guilan, et qui fait partie de ces femmes qui sortent sans voile dans la rue depuis quelques mois. «Beaucoup de chanteurs n’ont rien fait pendant la protestation. Toomaj, lui, a été très courageux. Alors qu’il avait ses audiences, ses fans, et qu’il n’était pas obligé de résister.»

Ses clips sont aussi clairs que ses mots. Dans celui de Faal, un homme en noir, au visage caché, incarne le régime. Face à lui, le chanteur vêtu de blanc scande tout son mépris de la corruption. Le tout sous un titre en référence au célèbre poète Hafez, dont l’œuvre au 14e siècle a été associée à un rituel de divination désormais ancré dans la culture iranienne. «Tout en mobilisant les traditions poétiques et littéraires classiques, Toomaj se fait le porte-parole des quartiers populaires», explique la sociologue franco-iranienne Azadeh Kian. «Il tacle autant les réformistes que les conservateurs. Son message : que vous soyez l’un ou l’autre, cachez-vous dans des “trous de souris” car la société va bientôt vous déloger.» En septembre 2021, Toomaj est arrêté une première fois, puis libéré sous caution.

Soutien international

En octobre 2022, alors que de nombreuses villes d’Iran résonnent au cri de «Femme, vie, liberté» après la mort de Mahsa Amini, il est à nouveau arrêté. L’artiste, qui cumule alors 500.000 abonnés sur Instagram et 380.000 sur Twitter, se voit notamment reprocher une interview à un média canadien où il affirmait aspirer à «un pays où la police des mœurs ne pourrait pas vous enlever en pleine rue, où les agents du pays n’auraient pas le droit de commettre des viols ou des agressions sexuelles».

Quelques semaines après son arrestation, les médias iraniens publient une vidéo de lui assis à terre, les yeux bandés. Le rappeur confesse regretter ses propos contre le régime iranien. Pour ses soutiens, il ne fait aucun doute que ces faux aveux sont prononcés sous la menace. De fait : lorsque près d’un an après il est relâché sous caution, l’artiste tourne dans la foulée une vidéo pour raconter à ses fans ses conditions de détention. «Ils m’ont frappé au visage, tellement fort que lorsque j’ai mis mes mains pour protéger mon visage, ils m’ont brisé les doigts», raconte-t-il face caméra, le visage amaigri. Il termine pourtant sur un message d’espoir. «J’espère que de jours meilleurs viendront. Je pense que nous pouvons bâtir ensemble un bel Iran». Deux semaines plus tard, Toomaj est encore arrêté, cette fois-ci pour «mensonges» contre le pouvoir.

Depuis le 27 avril, le jeune iranien est complètement isolé. Selon ses proches, il a été privé de tout contact téléphonique, un droit généralement accordé aux prisonniers politiques une fois par semaine. Les autorités ont prétexté la trop grande médiatisation de sa condamnation.

Après sa condamnation à mort, de nombreuses voix dans le monde ont pris la défense du chanteur. En France, le Quai d’Orsay a condamné «avec vigueur» cette décision de justice «qui s’ajoute aux nombreuses autres condamnations à mort et exécutions injustifiables liées aux manifestations de l’automne 2022 en Iran». Dans une tribune collective publiée dans Le Monde , des artistes, écrivains et militants des droits humains ont appelé Emmanuel Macron à faire pression. Aux États-Unis, Jake Sullivan, le conseiller à la sécurité nationale de la Maison-Blanche, a dénoncé la condamnation d’un artiste dont la «voix amplifie les aspirations du peuple iranien et de tous ceux que le régime réduit au silence».


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